Santé et prévoyance
face au défi climatique
L'Association de Genève a publié l’un des tout premiers rapports consacrés aux effets du dérèglement climatique sur la santé humaine. Un éclairage inédit sur ces risques encore sous-estimés, dont la nécessaire prise en compte pourrait redessiner les contours de l’assurance de personnes.

Des phénomènes climatiques extrêmes qui se multiplient
Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne de 1,45 °C au-dessus de l’ère préindustrielle. Un record qui sera très probablement battu en 2024.
Conséquence directe du réchauffement de l’atmosphère, les évènements extrêmes s’intensifient, dans toutes les régions du monde. Rien qu’en Europe, sécheresses, canicules, incendies, tempêtes et inondations ont engendré l’an dernier des pertes économiques estimées à plus de 13,4 milliards d’euros(1).
Jusqu’à présent, ces sinistres étaient abordés par le secteur de l’assurance au prisme des dommages causés aux biens, à travers sa branche IARD(2). En revanche, l’impact du changement climatique sur la santé des populations a été peu étudié à ce jour et reste donc mal connu. Comment, dès lors, en protéger les assurés ?
L’Association de Genève, cercle de réflexion réunissant les plus grandes compagnies d’assurance, a analysé cet enjeu fondamental dans un rapport paru fin février(3). L’organisme y explore les risques sanitaires liés au climat, ainsi que leurs répercussions sur l’activité des assureurs santé et prévoyance, et la structure même de leurs produits.
Source : fédération France Assureurs.
Un impact sanitaire multiforme
Les auteurs de l’étude recensent les conséquences épidémiologiques, directes ou indirectes, imputables au réchauffement et les classent en quatre catégories.
Les risques aigus résultent d’épisodes météorologiques violents tels que les inondations, les tempêtes, les incendies de forêt et les vagues de chaleur. Leur incidence immédiate (décès, blessures corporelles, traumatismes psychologiques) peut être accrue en cas de dégâts sur les infrastructures (établissements de santé, réseaux électriques et d’eau potable, installations industrielles…). L’ouragan Harvey qui a frappé le Texas en 2017 a ainsi provoqué une contamination de l’air et des eaux stagnantes à la suite de rejets toxiques provenant d’usines pétrochimiques endommagées.
Les risques chroniques sont, quant à eux, le fait de changements environnementaux progressifs. Ils sont induits par les maladies à transmission vectorielle(4) (maladie de Lyme, dengue, typhus…), des pathologies causées par la pollution de l’air ou de l’eau (affections cardiaques et respiratoires, cancers…), mais aussi des troubles psychiques liés au péril climatique (anxiété, dépression).
Source : Institut français de recherche sur la santé (Inserm), juillet 2023.
Les risques de transition sont un contrecoup du recours à certaines énergies alternatives, moins émettrices de gaz à effet de serre (GES) que les combustibles fossiles, mais tout de même susceptibles de nuire à la santé humaine. C’est le cas du gaz naturel, dont l’exploitation génère des fuites de méthane (plus nocif que le CO2) ou des biocarburants, également émetteurs de GES et de surcroît en compétition avec les cultures agricoles, contribuant à l’insécurité alimentaire.
Enfin, les risques de litiges découlent de la menace que la crise climatique fait peser sur la santé des générations actuelles et futures. Cette inquiétude grandissante constitue un potentiel catalyseur d’actions juridiques devant les tribunaux du monde entier.
Une feuille de route pour garantir l’assurabilité des risques
Si l’assurance de personnes a pour l’heure été peu affectée par ces retombées, il est erroné, selon les auteurs, de supposer qu’elle le restera, compte tenu de la fréquence, de l’ampleur et de la sévérité des bouleversements à venir. Or, face au manque de données pertinentes mettant en relation modèles climatiques, mortalité et morbidité, comment améliorer la compréhension des risques futurs ? Comment faire évoluer les produits santé et prévoyance pour qu’ils restent disponibles et abordables ?
Quatre recommandations sont avancées. En premier lieu, combler de toute urgence les lacunes en matière de données, pour mieux connaître les domaines de vulnérabilité et élaborer des scénarios prospectifs. Ce qui nécessiterait une collaboration multisectorielle des assureurs vie et non-vie, des experts en santé, des décideurs politiques et des climatologues.
La seconde piste consiste à innover. À ce titre, de nouvelles perspectives sont offertes par l’approche paramétrique, selon laquelle l’indemnisation intervient lorsqu’un indicateur fixé dans le contrat est atteint (force du vent, niveau de précipitations…).
Il s’agit également de renforcer la prévention des risques, notamment grâce à « la souscription à impact », qui encourage les assurés à adopter des comportements plus sains et écologiques (en remplaçant la voiture par la marche ou le vélo, par exemple).
Enfin, les acteurs de l’assurance sont invités à jouer un rôle plus important dans la sensibilisation du grand public comme de leurs clients. Les messages d’alertes adressés en cas d’évènements météorologiques pourraient ainsi informer sur les risques sanitaires associés.
Les assureurs, conclut le rapport, pourraient dès lors apporter une contribution significative à la protection de la santé publique face au défi climatique, alors que les températures mondiales, d’après l’OMM, sont en passe de franchir le seuil de 1,5 °C d’ici 2027.
(1) « European State of the Climate, Report 2023 » du programme européen Copernicus et de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), avril 2024.
(2) Incendies, accidents et risques divers (IARD).
(3) « Climate Change: What does the future hold for health and life insurance? », février 2024.
(4) Maladies provoquées par des bactéries, parasites ou virus transmis par des vecteurs (principalement des insectes et des arachnides).