Interview d'Agnès Arcier - Haute fonctionnaire et Présidente de la Fédération Femmes Administrateurs
Réalisée le 8 mars 2022
"Je souhaite évoquer la situation des femmes hautes fonctionnaires dans les pays de Méditerranée sud, en particulier au Maroc, en Tunisie, en Egypte, au Liban"
Pouvez-vous vous présenter et nous indiquer ce qu’est votre engagement en tant que présidente de la Fédération Femmes Administrateurs ?
Je suis haute fonctionnaire, actuellement directrice des impôts des non-résidents, au sein de l’administration fiscale rattachée au ministre en charge des Comptes publics. Auparavant j’ai exercé différents métiers dans la sphère du ministère de l’Economie et des Finances, successivement dans les domaines du commerce extérieur (j’ai été par exemple cinq ans conseiller commercial au Japon), de la politique industrielle (j’ai notamment piloté le lancement de la politique des pôles de compétitivité), et de la coopération technique internationale (j’ai dirigé un établissement public interministériel). Je suis sortie de l’Ena en 1986, et je suis diplômée Essec 1982.
En parallèle à mon parcours professionnel, et à titre d’engagement personnel et bénévole, je me suis engagée dès 1998 dans la promotion d’un regard féminin sur les réformes de l’État, et ai ainsi créé avec des collègues l’association Administration moderne, association interministérielle de hautes fonctionnaires de toutes origines, qui promeut l’exemple par le haut et la nécessité de réformes de fonctionnement plutôt que de structures pour transformer les administrations. Nous promouvons aussi le partage du pouvoir entre femmes et hommes.
En 2011, Administration moderne s’est alliée à des réseaux professionnels féminins du secteur privé, sur l’impulsion donnée par Agnès Bricard représentant les Femmes experts-comptables, pour fonder la Fédération des Femmes Administrateurs (FFA). Nous avons voulu accompagner par un travail de réflexion et lobbying la toute neuve loi Copé-Zimmermann qui a mis en place des quotas pour les conseils d’administration des entreprises, puis la loi Sauvadet de 2012 dont l’article 52 est méconnu mais a prévu la mixité des conseils d’administration des établissements publics. Il s’est agi de contribuer à sensibiliser le tissu économique à la nouvelle règle de la mixité mais aussi de faire comprendre qu’avec la parité advient aussi l’importance de viser des pratiques de bien meilleure gouvernance pour les organisations, privées mais aussi publiques. Ayant été première présidente d’Administration moderne, la FFA m’a sollicitée en 2017 pour prendre sa présidence.
C’est en tant que présidente de la FFA que j’ai été amenée ensuite à être nommée mi 2019 personnalité qualifiée bénévole au Haut Conseil pour l’Egalité entre les femmes et les hommes, présidente de sa commission parité, et que j’ai porté ainsi la production de 4 rapports sur les questions de parité et gouvernance (un triptyque sur la parité dans le monde du travail, dont un rapport sur le secteur public, et un rapport sur la parité dans les communes et intercommunalités).
https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr
Mon engagement est donc centré sur les questions de parité et de gouvernance, que j’ai nourri par mes expériences au sein de la sphère publique et l’observation attentive et le dialogue avec des collègues du secteur privé.
Quel est l'apport d'un regard féminin sur la gouvernance ?
Je crois que c’est un regard qui est précis et recherchant avant tout l’efficacité du process et la qualité de la décision. Il envisage le sujet globalement et sans tabou.
Pour vous donner une idée, nous avons à la FFA produit en 2018 un Livre blanc présenté lors d’un colloque à la Banque de France.
Nous recommandons ainsi qu’un conseil ne soit pas trop grand, qu’il soit renouvelé régulièrement, qu’il soit diversifié, devienne digital et intègre de vrais administrateurs externes. En 2019 nous avons tenu un colloque en partenariat avec AG2R LA MONDIALE sur la Finance pour une gouvernance responsable (http://www.federation-femmes-administrateurs.com/compte-rendu), qui a mis en valeur le fait que nous arrivons aujourd’hui à un concept élargi de l’intérêt de l’actionnaire.
Un regard féminin c’est aussi la vigilance à demander le partage de la gouvernance, c’est à dire le partage du pouvoir de décision entre femmes et hommes. Et c’est sur ce sujet que perdure le plus de résistances dans la société française, et notamment dans le monde public.
Quelle place occupent les femmes dans la fonction publique ? Y-a-t-il un lien entre la parité et la modernisation publique ?
Dans votre newsletter numéro 3 vous avez publié un très bel article sur l’égalité dans la fonction publique, dont je partage totalement le constat. Vous rappelez que 62,5% des agents publics sont des femmes, mais que pour autant elles ne sont globalement que 41,9% à occuper des postes en catégories A+.
Le suivi des primo-nominations sur les emplois de direction, mis en place grâce à la loi Sauvadet, montre que des progrès significatifs ont été faits puisque sur 2020 et 2021 l’objectif global de 40% est atteint. Pour autant, tous les acteurs publics sont conscients que ces progrès restent fragiles et ne permettant pas à ce stade de faire s’accroître rapidement la proportion globale de femmes dans les postes supérieurs participant à la décision publique : il y a seulement 33% de femmes dans l’ensemble des postes supérieurs publics. Il faut parvenir à fixer un objectif de 50% de femmes dans ces postes à moyen terme, et se donner les moyens de l’atteindre.
La ministre Mme de Montchalin s’est beaucoup engagée sur la question de la parité, c’est la première fois qu’un ministre donne autant d’impulsion sur cette question, et elle a fixé des objectifs très clairs à cet égard à la nouvelle structure interministérielle de pilotage des ressources humaines, la DIESE, qui vient d’être créée.
Le lien de la parité et la diversité avec la capacité de transformation publique, la modernisation administrative, sa performance, est davantage compris aujourd’hui, mais pas encore suffisamment partagé. C’est un sujet qui dérange à mon sens. Il ne fait pas l’objet d’études ou de travaux, il est rarement évoqué dans les cercles de dirigeants publics. Sans doute parce que la notion de performance publique n’est pas facile à appréhender, mais aussi parce qu’avouer qu’une prééminence masculine ne garantirait pas la qualité du service rendu aux citoyens est difficile à entendre par nombre de dirigeants masculins. Je suis persuadée pourtant qu’il faut approfondir cette question, clé de la transformation future et de l’attractivité à terme des métiers de l’État et des collectivités.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face en tant que « voix féminine » ?
Les difficultés que j’ai pu ressentir dans ma vie professionnelle ou associative sont assez classiques et connues de la plupart des femmes : les a priori sur ses compétences, la difficulté à faire entendre son point de vue dans une réunion presque exclusivement masculine, ou les railleries quand il s'agit de participation des femmes à la décision (par exemple lors de la création de l’association Administration moderne, moquée comme association des « nénettes »). Il ne faut pas se décourager et faire son chemin. Je crois que les jeunes femmes aujourd’hui ont compris qu’il faut être soi-même quelles que soient les réactions.
Avez-vous une question qui ne vous a jamais été posée et à laquelle vous souhaiteriez répondre aujourd'hui ?
Je souhaite évoquer la situation des femmes hautes fonctionnaires dans les pays de Méditerranée sud, en particulier au Maroc, en Tunisie, en Egypte, au Liban. Elles étaient plus nombreuses dans de hauts postes avant les printemps arabes que nous ne l’étions même en France. Leur situation a été fragilisée à la suite des printemps arabes. À Administration moderne nous avons créé avec elles à partir de 2014 un réseau régional Mixité et gouvernance, pour les soutenir dans leur rôle de participation à la décision publique dans leurs pays. Pour elles, ce que font les femmes françaises de la fonction publique pour porter une voix est une référence. Nous devons toujours avoir en tête que la fonction publique française est regardée, et que l’exemple que nous donnons est un point d’appui pour nos collègues, qui sont plongées dans des contextes nationaux difficiles où la voix des femmes n’est pas beaucoup entendue.