Fonction Publique sans frontières

Comment la France se démarque des pays voisins ?

En fonction publique, comme dans bien d'autres domaines, l'habitude a été prise de se comparer aux autres pays. Les détracteurs tout comme les défenseurs du modèle français utilisent ainsi les éléments qui corroborent leur vision et laissent de côté tout ce qui peut minorer leur argumentaire. 

Alors, la France est-elle réellement atypique ?  Est-elle Championne d'Europe (voire du monde) de la bureaucratie hypertrophiée ? La considère-t-on comme un centre de coûts ou au contraire comme un exemple inspirant pour les autres pays ?

Deux précautions à prendre

Avant de tenter d’apporter une réponse moins manichéenne et plus argumentée, il convient de prendre deux précautions :

  • En premier lieu, il faut être vigilant sur les chiffres. La fonction publique est en effet un être vivant qui évolue sans cesse. Mais la plupart des études sont établies par l'OCDE avec des chiffres souvent en décalage de 4 à 6 ans. L'analyse a donc le mérite d'exister mais ne tient pas compte des dernières modifications apportées dans l'intervalle.
  • Ensuite, il est indispensable d’avoir à l’esprit que les comparaisons entre pays développés en matière d’emploi public sont délicates (cf. note de France Stratégie), tout simplement parce que les périmètres du secteur public divergent d'un pays à l'autre.

 
Ces 2 précautions centrales étant prises, il est possible de sortir quelques indicateurs permettant de dresser un portrait assez complet de la place de la France au sein des pays développés.

Premier point

Premièrement, il est possible de regarder le rapport entre le nombre d’emplois publics et le nombre d’habitants. Ainsi en 2015, l'Italie affichait 55 agents pour 1 000 habitants contre 160 pour la Norvège. La France en comptait 88.5, lui permettant de se situer dans le premier quart du tableau.


Le second indicateur utilisable est le poids des rémunérations publiques ramené à la richesse nationale. Il a l'avantage d'être cohérent avec le taux d’emplois publics.


Sur ce critère, toujours en 2015, l'Italie se situait là aussi dans le bas du tableau avec 9.84 % alors que la Norvège arrivait en seconde position avec 14.81%. La France se situait de nouveau dans le premier quart du tableau, avec un taux de 12.91%.


Au premier abord, la France apparaît donc effectivement comme un pays assez fortement administré, même si elle est loin d'être championne en titre. 
 
Suite à ces observations, cette première photographie doit cependant être nuancée au regard du périmètre de la fonction publique dans chaque pays pouvant générer un "effet volume" : plus le service public englobe d'activités, plus il y a d'agents et plus la masse salariale augmente.


Pour le corriger, il est intéressant de regarder le ratio entre la rémunération des emplois publics et le PIB par habitant. Celui-ci fait ressortir des pays où les fonctionnaires sont plutôt "mal traités" par rapport au reste de la population, (c’est le cas notamment des pays nordiques et du Royaume-Uni) et les pays où les fonctionnaires sont globalement mieux lotis (essentiellement les pays du Sud de l’Europe).


Toujours en 2015, l'Italie arrive en seconde position avec un ratio de 1.8 contre la Norvège qui occupe la dernière place avec 0.9. La France se situe dans le premier tiers avec un ratio de 1.5. Un focus sur la rémunération en elle-même montre par ailleurs que les fonctionnaires belges sont nettement favorisés par rapport à leurs homologues suédois (73 K€ contre 43 K€). La France, elle, se retrouve en milieu de classement avec 53 K€.

Second point

La seconde nuance à apporter porte sur la part de sous-traitance. Le secteur public peut en effet sous-traiter en partie ses missions, ce qui réduit trompeusement les chiffres de l'emploi public.
 

Ainsi l’Allemagne, qui est souvent citée en exemple, dépense autant que la France pour sa santé mais compte beaucoup moins d'agents dans ce domaine pour la bonne et simple raison que le personnel de santé hospitalier est en général payé sous contrats privés.


Les « dépenses intermédiaires » représentaient ainsi, en 2015, 28% des frais de fonctionnement en France contre 38% pour l’Allemagne, 40% pour la Suède ou 48% pour la Grande Bretagne.

Alors au final ?

Effectivement la France présente des dépenses publiques de fonctionnement élevées mais sans pour autant apparaître comme singulière. Elle se démarque certes par un niveau record des prestations sociales (retraites inclues) mais se situait en 2017 en 7ème position en matière de dépenses de fonctionnement, par rapport au pourcentage du PIB.


Pourtant, la France connaît une spécificité forte : elle a moins recours à l'externalisation des missions de service public et concentre ses dépenses sur la rémunération des agents publics (ce qui comme nous l'avons vu ne signifie pas que les agents y sont nettement mieux payés qu'ailleurs).

La véritable différence n'est donc pas à chercher dans le nombre d'agents ou leur rémunération mais dans les choix de fonctionnement :

  • Le modèle statutaire a fait ses preuves et reste unique en Europe, où le recours au droit privé s'accroit,
  • Le maintien de missions de service public qui sont déléguées au privé dans d'autres pays accroît le sentiment d'administration mais pas forcément le coût,
  • Le modèle social français, dont nous avons pu tester l'effet amortisseur pendant les crises récentes.

 
La solution n'est donc certainement pas de copier aveuglément un autre pays en prenant seulement un ou deux indicateurs de référence mais de faire évoluer notre modèle dans sa globalité en analysant ses marges de progression, et en veillant à conserver au maximum une efficience des dépenses.

 

A défaut d'être championne de la fonction publique au niveau mondial, ou même européen, la France aime le contrôle et les process qui peuvent se révéler couteux. Passer au service public 2.0 et admettre que le service au citoyen a un coût, est indispensable, tout en gardant à l’esprit qu’une optimisation est nécessaire.

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