Petit-déjeuner Culture branches "Le sens au travail : quelles ambitions pour les branches professionnelles ?"
Le 23 avril 2024, le petit-déjeuner Culture branches proposait une réflexion sur la demande de sens au travail exprimée par les salariés et ses répercussions dans les organisations. Engagés sur ce thème, nos trois intervenants ont apporté leur contribution à un débat incontournable.
De gauche à droite : David Cluzeau, Pascale Soyeux, Sophie Thiéry, Jean-Baptiste Bafety
En ouverture de ce nouvel événement, Bruno Angles, Directeur général d’AG2R LA MONDIALE, a réaffirmé le très fort attachement du Groupe aux branches professionnelles et à « la démarche de co-construction qui fonde notre action ».
Celle-ci s’illustre notamment depuis plusieurs années dans Culture branches, laboratoire d’idées au service des négociateurs et de leurs fédérations. « Par son ADN singulier et son ancrage dans l’Économie sociale et solidaire, notre Groupe porte un engagement sociétal fort et vecteur de sens », a rappelé Bruno Angles qui voit dans la question du sens au travail un enjeu fondamental, tant pour les salariés que pour les entreprises qui les emploient.
De nouvelles aspirations
AG2R LA MONDIALE fait ainsi partie de la dizaine de grands groupes investis aux côtés de Jean Baptiste Barfety dans le Projet Sens.
Fondé avec Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, eux-mêmes auteurs en 2018 du rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », ce projet collectif entend décrypter la demande croissante de sens au travail et y apporter des réponses en entreprise. L’étude « Du sens à l’ouvrage » qui résulte de ces travaux analyse les nouvelles aspirations des Français en la matière.
« 43% des actifs envisagent de quitter leur emploi pour un autre ayant à leurs yeux plus de sens, constate Jean Baptiste Barfety. La proportion atteint même 50% chez les femmes, 52% chez les managers et 59% chez les moins de 35 ans ». La rémunération, le bien-être et le sens arrivent en tête des « facteurs de réalisation ». Ces dix dernières années, 20% des cadres (40% des moins de 35 ans) sont passés à l’acte et ont effectivement changé d’emploi, motivés par la recherche de sens.
Finalité du travail et utilité sociale
Comment expliquer cette quête de sens ? « Parmi les hypothèses figure le retrait des réponses collectives apportées par les grandes institutions comme l'Eglise, l'Etat, le parti, les syndicats, avance Jean Baptiste Barfety, et sa compensation dans l’engagement individuel.
L’autre explication tient au télétravail, ce « travail à emporter » où les critères personnels, liés à la famille, aux enfants, prédominent sur le collectif de l’entreprise. » Le fondateur du Projet Sens identifie trois grands leviers pour progresser. D’une part, rattacher la finalité du travail à son utilité sociale comme l’encourage la création, suite à la Loi PACTE, de la raison d’être et du statut d’entreprise à mission. D’autre part, agir sur le contenu du travail en recréant du lien entre les collaborateurs et en retrouvant le contact avec le produit. « Revenir à des fondamentaux sur la réalisation, être au cœur de son métier, c’est l’inverse de se sentir le rouage impersonnel d’une grande machine où prime l’automatisation et les processus ».
Enfin, Jean Baptiste Barfety insiste sur le principe de prudence à plaquer des solutions toutes faites sur le sens au travail : d'abord ne pas nuire. « Notre rapport montre à quel point la question de la reconnaissance est fondamentale. Un travail ignoré étant équivalent à un travail détruit, l’entreprise doit absolument faire preuve d’une volonté de comprendre comment chacun se réalise dans le travail et de favoriser le dialogue professionnel et social. »
Reconsidérer le travail
Sophie Thiéry, Conseillère CESE au titre du groupe CFDT, Présidente de la commission travail emploi et Cogarante des assises du travail, voit une dimension conjoncturelle dans la recherche du sens au travail (1). « Ce n’est pas un sujet nouveau mais le Covid et la mobilisation pour la réforme des retraites l’ont réactivé, estime-t-elle.
Il existe indéniablement une demande pour travailler mieux, c’est-à-dire pouvoir bien faire son travail et être reconnu, et donc, reconsidérer le travail lui-même. »
Pour cette spécialiste des questions d’emploi, trois éléments impactent déjà les conditions de travail : tout d’abord, la diminution de la population active, avec des salariés qui vont rester plus longtemps et des jeunes à fidéliser ; l’IA qui, pour le meilleur, peut libérer de certaines tâches ou augmenter les capacités des travailleurs, et pour le pire, devenir donneur d’ordre auprès des personnes au risque d’un rapport homme/machine inversé ; l’environnement et la transition écologique enfin, qui obligent à repenser les modèles économiques et les conditions de travail. « Nous avons déjà connu plusieurs périodes de canicule qui donnent lieu à des mesures d’urgence mais, que ce soit avec les enseignants ou les personnels des hôpitaux, il n’y a pas de dialogue profond et nourri sur les conditions de travail induites. »
Encourager le dialogue dans l’entreprise
Face à ces constats, Sophie Thiéry évoque l’urgence de pouvoir dialoguer et de rétablir un management par la confiance. « Le management très vertical, chiffré, caractérisé par l’absence d’écoute de ce qui se passe dans les métiers est à l’origine de la perte de sens exprimé par les salariés. L’entreprise a besoin de collectifs qui agissent en responsabilité par rapport aux changements observés, c’est-à-dire qui les comprennent et trouvent les solutions d’adaptation. » Une « révolution managériale », sur la base de formations et de création de lieux de dialogue de proximité, à tous les niveaux de l’entreprise, est la première des propositions émergentes.
« Cette recherche de sens passe également par l’adaptation des organisations du travail, par la portabilité - et donc la sécurisation- des droits ou encore la préservation de la santé physique et mentale des travailleurs, enjeu de performance et de responsabilité pour les organisations », estime Sophie Thiéry qui suggère aux entreprises de mettre à profit le Document Unique d’Évaluation des Risques (DUER). « Pourquoi pas, à cette occasion, organiser annuellement un débat avec les représentants du personnel ? Il y aurait beaucoup à apprendre dans ce début de dialogue professionnel.»
Sens du travail versus sens au travail
Invité à s’exprimer sur les notions de « sens du travail » vs « sens au travail », David Cluzeau, Délégué général d'Hexopée et Synofdes, Président d'Uniformation et Vice-président du Pôle ESS d’AG2R LA MONDIALE a rappelé en préambule que « la question du sens est intrinsèque à l’engagement dans l’économie sociale et solidaire ». Et que le travail, notamment au sein des associations, ne se résume pas à l’emploi.
Plus généralement, il considère le sens du travail comme pouvant être la production d’un bien ou d’un service, un sens économique mais pouvant aussi se traduire par une raison d’être, et donc adressé l’utilité sociale ou l’intérêt général.
Le sens au travail, quant à lui, concerne la réalisation de l’individu et de son épanouissement professionnel. A ce titre, il interroge les conditions de travail, la rémunération et la reconnaissance de l’apport de chacun. « Dans un travail qui a du sens, on peut tout à fait ne pas trouver de sens à travailler », estime ainsi David Cluzeau.
Le Délégué général d'Hexopée relève que « le questionnement sur le sens au travail est d’autant plus présent dans les secteurs en tension, précisément là où le sens fait défaut ou bien illustre le différentiel entre but économique et but social, c’est-à-dire créer de la valeur et/ou transformer son environnement ».
Le sens au travail pose la question de la reconnaissance au sein du collectif, à l’intérieur du modèle économique de l’entreprise mais aussi à l’extérieur, au sein de la société tout entière. C’est le sens sociétal ou politique du travail.
Faire du salarié un citoyen
Alors, où trouver du sens au travail ? « Dans le projet, dans la capacité des personnes à s’approprier un projet », répond David Cluzeau. « A ce titre, en tant qu’employeurs de l’ESS, nous avons la responsabilité de mettre en adéquation nos valeurs et nos pratiques. Cela nécessite une démarche d’apprentissage et de compréhension de ce qu’est le travail. »
Poursuivant son analyse, le Vice-président du Pôle ESS d’AG2R LA MONDIALE souligne que « dans des systèmes asymétriques, chacun n’a pas le même rapport de responsabilité par rapport à l’organisation ». La régulation des relations de travail s’en trouve affectée de même que la recherche de sens. « Comment permettre au salarié d’exercer un pouvoir, d’être acteur d’autre chose que de son activité quotidienne et donc aussi de son organisation ? » Pour « réinsuffler la question démocratique au sein de l’entreprise », David Cluzeau propose lui aussi la création à tous les étages de l’entreprise d’espaces de dialogue professionnel, de coopération non verticale, sans enjeux revendicatifs.
Autant d’incitations à aborder la question de l’autonomie et du développement des compétences et à faire du salarié un citoyen. « Pour nous, acteurs de l’ESS, la citoyenneté économique est au cœur de la question du sens. »
La santé prévoyance, par nature porteuse de sens
En conclusion, Pascale Soyeux, Directrice Santé prévoyance et Accords de branches d’AG2R LA MONDIALE, a souligné la convergence des analyses, notamment entre les deux rapports cités pendant cette matinée (lire ci-dessous pour en savoir plus).
« Depuis la loi PACTE et la mise en place de la raison d’être des entreprises à mission, la question du sens au travail a cheminé, a-t-elle constaté. Les thématiques abordées, comme la force du collectif, le management, les valeurs ou la qualité de vie au travail, font écho à ce que nous vivons au quotidien en tant que « salarié citoyen » du groupe AG2R LA MONDIALE. »
Par nature, la santé prévoyance de branche est porteuse de sens, du fait du pilotage paritaire, des garanties adaptées aux professions, des actions de prévention, de l’action sociale et de la portabilité des droits. « Une large mutualisation permet de plus de mettre en place des mécanismes de solidarités entre salariés, par exemple entre actifs et retraités, mais aussi entre entreprises, de façon à offrir aux TPE un niveau de garanties et tarifs égale aux plus grandes », a rappelé Pascale Soyeux, pointant également la démarche RSE au travers de laquelle les branches et leurs entreprises renforcent le sens et la reconnaissance du travail accompli par les salariés.
(1) Les Assises du travail ont été lancées en décembre 2022 dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) pour structurer une réflexion et faire des propositions sur le sens et le rapport au travail.
Pour en savoir plus :
Les rapports « Re-considérer le travail » (et ses 17 préconisations en 4 axes) ainsi que celui du Projet Sens, « Du sens à l’ouvrage » (et son manifeste de 10 engagements pour retrouver du sens au travail) sont à consulter ici dans leur intégralité :
• Rapport du projet Sens "Du sens à l'ouvrage"